Il y a quelques jours, sans raison apparente, je me suis tout à coup souvenu de L (un ancien collègue que j’ai perdu de vue). À l’époque je travaillais au 9e étage d’un édifice du nord de Montréal. Or L avait la phobie des ascenseurs: 4 fois par jour (arrivée/départ, pause du matin et de l’après-midi, repas du midi) il montait/descendait les 9 étages par les escaliers. Je dois dire qu’à l’époque, ça ne m’avait pas réellement intéressé; simplement je me disais que “il est comme ça, c’est tout”. Aujourd’hui tout ce qui est humain m’intéresse profondément, alors j’ai longuement cogité sur la peur en général (et aussi les phobies). J’ai appris des choses épatantes, et cela, je veux le partager avec toi.
Dans l’article précédent nous avons vu que “l’émotion n’est pas le propre de l’homme puisqu’elle plonge ses racines au tout début du règne animal” (Émotion et sentiment). De toutes les émotions, c’est la peur qui m’intéresse le plus parce que c’est l’émotion de base*, celle sur laquelle le règne animal tout entier s’est lentement élaboré.
* Pourquoi la peur serait-elle l’émotion de base? Lorsque des myriades de créatures sont graduellement apparues dans cet océan infini et indifférencié de conscience (amour, joie, sagesse, vie, etc.) qu’on appelle Dieu, il a bien fallu que chacune d’elles se protège des autres. Pour chaque créature il y avait donc MOI et LES AUTRES. Et pour continuer à exister, LA PEUR a joué un rôle important en la poussant à fuir ou à combattre face à un prédateur (= un des AUTRES).
Autrement dit, puisque notre corps a évolué à partir de celui du mammifère supérieur (le grand singe), et que celui-ci, comme toutes les autres espèces du règne animal, “s’est bâti” par la peur, on peut dire sans crainte de se tromper que la peur est profondément ancrée en nous (peur de l’échec, de l’inconnu, de la mort). Bien sûr, nous ne vivons pas avec une peur constante, mais elle est toujours là, dans les profondeurs de l’inconscient, prête à émerger. Je dirais même qu’il est normal de ressentir une certaine peur (“La peur du gendarme est le début de la sagesse” dit-on). Simplement, son expression pathologique est plus facile à étudier, c’est tout. Je ne cherche donc pas à débarrasser celui qui a “peur des araignées” de sa phobie mais à comprendre le phénomène de la peur en général.
Pour une société matérialiste comme la nôtre, tout a des causes physiologiques. Je ne partage pas ce point de vue. Bien sûr, puisque la phobie n’est pas descendue du ciel comme par miracle, il y a nécessairement un aspect physiologique, mais c’est l’explication, ce n’est pas la véritable cause (qui est sur un plan auquel les matérialistes ne croient pas). Je ne parlerai donc pas ici d’adrénaline ou d’endorphine. Les symptômes physiques de la peur (sueurs, tremblements, accélération du rythme cardiaque) ont beaucoup été étudiés et il n’y a pas lieu d’en reparler. Si la peur est plus qu’un “phénomène émotif produit par le cerveau”, qu’est-elle au juste? Wikipédia en donne une définition courante en psychologie: “La peur est une émotion ressentie généralement en présence ou dans la perspective d'une menace”. Cette définition, tout en étant exacte, n’explique rien, et après l’avoir lue, on ne sait pas vraiment ce qu’est la peur.
Le mental est une source d’émerveillement constant pour moi: comment peut-il prononcer tant de mots pour ne rien expliquer? Ça me fait penser à un enfant volubile qui parle de choses qu’il ignore. En fait, lorsqu’on le connaît, on s’aperçoit que le mental complique tout, même ce qui est simple.
Ce qui m’intéresse véritablement, c’est savoir ce qu’est la peur, parce qu’à ce moment-là je sais quoi faire avec (d’où Connaissance de soi). Tout ce qui existe a une raison d’être (une chose qui ne sert strictement à rien, ça n’existe pas). Donc la peur sert à quelque chose. Nous avons vu que la peur est salutaire pour toutes les espèces animales: “La peur, par exemple, peut sauver la vie de l’animal face à un prédateur en le poussant à fuir ou à combattre” (Émotion et sentiment). L’Homme moderne cependant, n’a pas besoin de la peur pour lui sauver la vie, car sa vie n’est pas menacée. Elle est donc inutile pour lui, nuisible à son plein épanouissement, et peut même parfois devenir pathologique chez certains (quand elle est disproportionnée au danger ou trop prolongée).
Mais cela ne veut pas du tout dire qu’elle ne sert à rien et que nous ne pouvons rien apprendre d’elle. En fait, on peut apprendre de TOUT (bien ou mal), et la peur n’y fait pas exception. On a vu ailleurs que rien n’est 100% mauvais ou 100% bon: TOUT a des avantages ET des inconvénients. Bien sûr, la peur chez l’Homme est porteuse d’inconvénients majeurs, mais il y a aussi des avantages certains qu’on ne peut recueillir que si on la connaît bien. Il est évident qu’il vaut mieux SAVOIR ce qu’est la peur que de ne pas le savoir, et si on veut pouvoir se débarrasser de la peur, il faut la connaître intimement. Or ce n’est pas ce que l’on voit de nos jours. Le plus souvent quelqu’un qui a peur cherchera à ÉVITER sa peur au lieu de l’AFFRONTER et de la VAINCRE (chercher à éviter sa peur est le meilleur moyen de la prolonger indéfiniment).
Il est donc NORMAL de ressentir de la peur en certaines occasions: tous les animaux connaissent cela. Il arrive cependant un jour où on sent clairement que “c’est au-dessous de ma dignité d’Homme”. On entreprend alors de se débarrasser pour toujours des émotions –dont la peur- car elles ne sont que négatives (peur, colère, envie, jalousie) et nous rattachent au règne animal. (S’il est légitime de chercher à se débarrasser des émotions, il en va tout autrement des sentiments; j’en parlerai bientôt dans “Sublimer les sentiments”) Quelqu’un qui n’a plus d’émotions ne perd pas du tout l’aspect affectif (à la condition d’avoir gardé ses sentiments), fait preuve d’une grande empathie, etc. (bref, il est beaucoup plus humain et sensible qu’avant). Pour pouvoir “éliminer ses émotions et sublimer ses sentiments”, il faut tout d’abord distinguer ces deux; je tente d’expliquer quelle distinction on peut faire dans Émotion et sentiment.
Toute émotion –la peur aussi- représente une énorme dépense d’énergie. Éliminer les émotions veut donc dire que cette énergie pourra être utilisée à meilleur escient: c’est de l’énergie rendue DISPONIBLE. Au contraire, être soumis aux émotions nous prive d’une quantité phénoménale d’énergie.
La peur revêt une variété de formes pathologiques. De nos jours certaines personnes ont des peurs de toutes sortes (peur des serpents, des araignées, des aiguilles, etc.), phobies paralysantes (phobie des espaces clos, des espaces ouverts -claustrophobie, agoraphobie) et même angoisses et anxiétés. Bref, tout ce qui peut servir à notre plus grand bonheur, peut aussi nous éloigner de lui; nous avons donc avantage à CONNAÎTRE/COMPRENDRE tout ce qui se passe en nous et hors de nous (un jour on s’aperçoit que RIEN de ce qui arrive est véritablement EN nous ou HORS de nous, TOUT fait partie de nous). Les thérapies qui consistent à AFFRONTER sa peur sont très intéressantes car en faisant face à l’objet de sa phobie, on apprivoise sa peur, on devient familier avec elle en quelque sorte, on la COM-PREND (cum prendere = prendre en soi).
Et lorsque la peur est si intime qu’elle est EN SOI, on peut aisément la prendre et la rejeter HORS de soi.
2 commentaires:
Jigé, connais-tu le "Conte de celui qui partit en quête de la peur"?
C'est le N°4 dans Grimm (édition José Corti)?
Il existe pas mal de versions de ce conte, souvent intitulées "Jean sans peur"..
Il y aurait à dire, sur ce personnage que les pires horreurs laissent indifférent et qui finit par être effrayé par une simple farce.
Dans une version, c'est au moment d'entrer dans la chambre nuptiale qu'enfin il apprend ce qu'est la peur...
Salut Alma,
Les frères Grimm étaient de merveilleux conteurs mais ne connaissaient apparemment pas la nature humaine mieux que leurs contemporains.
Il y a très longtemps j’ai vu un film italien dont j’ai oublié le titre mais qui me rappelait un peu l’histoire de Jean sans peur.
C’était l’histoire d’un homme que tout laissait indifférent. Il perd son emploi: «bof!», sa maison brûle: «bof!», sa mère meurt: «bof!», sa femme le quitte: «bof!» . Ce n’est pas «ne pas connaître la peur», c’est être IN-SENSIBLE, et ce n’est recommendable pour personne.
Je ne parle pas d’apprendre ce qu’est la peur «au moment d'entrer dans la chambre nuptiale» Nous ne sommes pas des Jean sans peur, nous savons tous ce qu’est la peur, et il est question de la faire sortir pour toujours de notre vie.
Mais je me suis peut-être mal exprimé: ce n’est pas en réprimant la peur que nous réussirons cela, c’est en l’intégrant en nous; et quand la peur est EN nous, on peut FACILEMENT la prendre et s’en débarrasser. Ce n’est pas tout le monde qui a avantage à faire cela; c’est pourquoi j’ai pris soin de dire que «un jour on sent que c’est au-dessous de ma dignité d’Homme».
Publier un commentaire