L'Homme de désir


Dernièrement j’ai expliqué que notre état habituel en est un de pantin/jouet de la vie (cf. L’Homme du torrent). Mais à chaque génération des hommes1 et des femmes DÉSIRENT se prendre en main, et travailler à être le maître de leur destin; on les appelle les Hommes de Désir2 parce qu’ils brûlent du DÉSIR de se libérer, ou bien ils ne peuvent plus supporter d’être le jouet de la vie; sur la mer de la vie, ils veulent piloter le bateau de leur propre destin. C’est de cela que j’aimerais parler aujourd’hui.
Tout d’abord, on ne peut se libérer que si on se sent entravé (sinon de quoi se libérer?) Un préalable nécessaire à la «libération» est donc de sentir que c’est la vie qui décide pour nous3. Je ne suis pas libre de déterminer mon propre destin. Est-ce qu’il va m’arriver un événement heureux ou un événement malheureux (est-ce que je vais connaître tel succès, est-ce que ma maison va brûler), je ne le sais pas car ce n’est pas moi qui décide, c’est la vie. Quand je prends conscience de cet état de pantin, je deviens conscient aussi que c’est la même chose pour tous. Je ne suis pas le seul dont la vie est déterminée: les autres le sont aussi.
Alors naît en moi une formidable solidarité avec ceux que j’appelle «les autres». Je pressens (plus que je ne le sens réellement) que nous sommes tous reliés. Bien sûr, chacun de nous est un individu séparé des autres individus par un sac de peau. Mais c’est mal vu, c’est une APPARENCE déformée de la réalité.
On m'a appris que mon corps, et le corps de tout le monde est fait d’atomes. Or il n’y a rien de plus semblable à un atome qu’un autre atome. Un atome, ça bouge continuellement. Ça vibre sur place, bien sûr, mais aussi ça se déplace. Les atomes qui composent mon corps seront donc dans Bernard, Paul ou André la minute suivante, et leurs atomes seront en moi. Donc la réalité montre que je suis l’autre et que l’autre est moi. Ce qui fait qu’il n’y a pas mes atomes ou ses atomes (ça c’est l’illusion): il y a LES atomes, qui composent le corps de tout le monde et de tout ce qui existe (mais ici je me limite au monde humain). Qu’est-ce donc qui me différencie de Paul, Bernard ou André alors? Mon esprit?
Si je peux avoir telle pensée et Bernard, une pensée opposée, et Paul, une autre pensée encore, c’est bien parce que nous avons tous la même chose en commun: le mental ou faculté de penser. Et nous arrivons tous à une conclusion différente parce que nous sommes partis de prémisses différentes. Mais nous raisonnons de la même façon et c’est identiquement la même logique qui nous anime. Pourquoi y a-t-il tant de pensées différentes alors? En fait il n’y en a qu’une mais nous sommes si petits et si étroits que chacun ne peut en contenir qu’une toute petite partie (qu’il appelle MA pensée). Que chacun aie différentes pensées, c’est normal; mais croire que LA NÔTRE est la seule vraie prouve que nous sommes encore très petits; de plus c’est extrêmement limitatif.
Il est cent fois plus intéressant (et instructif) de garder sa pensée (puisqu’elle nous est utile), tout en voyant/comprenant que tous les autres ont raison aussi: ça vous élargit le cerveau! As-tu déjà réfléchi à ceci, ami: si tout le monde avait la même idée/conception des choses ou pensait identiquement la même chose, il n’y aurait pas besoin d’être 6 milliards: un seul suffirait.
Un de mes amis blogueurs, agnostique, m’a raconté une chose intéressante: un jour, lors d’une soirée sociale il a brièvement rencontré une jeune fille. Un peu plus tard, elle lui apprend qu’elle s’adonne à la spiritualité (et pour elle cela EXCLUE les agnostiques). Alors elle lui a tout simplement dit qu’il ne sera «épanoui» que lorsqu’il aura «compris». J’ai trouvé cet exemple intéressant parce que ce symptôme d’intolérance est largement répandu (si répandu en fait qu’on croit que c’est normal). La vérité (je n’aime pas ce mot qui a souvent servi à justifier les stupidités des Hommes) est que la distinction agnostique/spiritualiste ne sert aux uns qu’à exclure les autres.
On trouve même cette forme d’intolérance parmi les spiritualistes de différentes Écoles. Il y a un peu plus d’un an j’ai fait une recherche par centre d’intérêt (spiritualité) et j’ai écrit à plusieurs. Or je me suis rapidement aperçu d’une chose curieuse: des disciples de tel gourou se sentent souvent supérieurs aux disciples d’un autre gourou ou croient que leur sadhana –discipline spirituelle- est la meilleure (bien sûr ils ne le disent pas ouvertement, mais en lisant entre les lignes on perçoit une sorte de suffisance). Attention: on ne voit pas du tout cela d’un maître spirituel à un autre, mais uniquement parmi leurs disciples respectifs.
Alors que la chose importante, c’est l’être humain, sans considération de matérialiste ou de spiritualiste. TOUS LES HOMMES cherchent à être heureux; les matérialistes cherchent d’une façon, et les spiritualistes, d’une autre façon, c’est tout. Si on regarde au-delà des apparences, on remarque qu’il y a une INTERDÉPENDANCE absolue entre les individus, et seul un sac de peau, que nous appelons notre corps, peut donner l’illusion d’être séparés (ce n’est qu’une APPARENCE); en réalité nous sommes tous reliés. Et de même que notre corps est formé de nombreux organes, ainsi l’espèce humaine est formée de nombreuses «familles» (chacune formée de milliers ou millions d’individus répartis partout sur la Terre).
Si je résume, l’Homme de désir, c’est celui qui veut voir la Réalité (= Dieu) que cachent les apparences. Cette Réalité est tout ce qui existe, par définition (donc les Hommes aussi). Alors exclure un seul Homme, c’est exclure une partie de la Réalité. Et travailler à voir au-delà des apparences, c’est travailler à voir le divin partout (donc notre propre nature divine).
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1. Au moyen de la majuscule, je distingue l’être humain (Homme) et le mâle humain (homme) ; homme et Homme sont donc deux mots distincts. 2. DÉSIR est ici synonyme d’ASPIRATION; c.a.d. que c’est un élan de l’âme (généralement inconscient) et non du cœur (centre émotif). 3. C’est inévitable, mais ça ne peut être que temporaire puisque c’est un simple processus de croissance, la vie ne décidant pour l’Homme que parce que celui-ci est incapable de décider pour lui-même; plus tard, l’Homme a vieilli et peut œuvrer à son propre destin (tout comme des parents décident d’envoyer leur enfant à l’école sans lui demander s’il est d’accord ; puis plus tard, quand le fils a grandi, c’est lui-même qui s’inscrit à l’université et choisit ses cours).
