On a vu que le gouvernement (ceux qui étaient des jeunes dans les années ‘70, au moment des conflits étudiants) a très mal géré la “crise étudiante”, ce qui a eu pour effet “d’indisposer” (le mot est faible) une majorité de personnes dans toutes les couches de la société, tandis que les étudiants continuent à manifester comme d’habitude.
Dans toute cette histoire on ne peut blâmer ni le gouvernement ni les étudiants cependant (chacun a fait précisément ce qu’il devait faire pour obtenir le résultat que l’on voit maintenant). LES HOMMES SONT RAREMENT CONSCIENTS DE CE POUR QUOI ILS AGISSENT.
Évidemment, une grève étudiante aussi longue et d’une telle ampleur ne pouvait qu’attirer l’attention des médias de plusieurs pays (États-Unis, France, Suisse, Grande-Bretagne, etc. –plus de 2000 articles en tout). On a parlé de “printemps érable” –allusion au printemps arabe et à la feuille d’érable du drapeau canadien- mais personne n’a mesuré l’importance de l’affaire (ce qui n’est pas étonnant car on ne voit que L’APPARENCE des choses, le but de ces médias n’étant que d’augmenter leur tirage).
Certains se demandent comment une grève étudiante a pu “dégénérer” (c’est leur mot) en une crise sociale majeure, tandis que d’autres cherchent une solution de sortie de crise. Si l’on savait réellement comment les choses se passent cependant, on verrait plutôt que la grève étudiante a permis l’expression du ras-le-bol de toute une société.
On ne peut qu’être d’accord qu’on vit présentement “une crise sociale majeure” et, comme toute crise, ce ne peut être que temporaire; on est donc certain d’en sortir (et la façon dont ça va se régler est peu importante: l’essentiel est que ce qui devait se faire ait été fait). LES CHOSES SONT TRÈS DIFFÉRENTES DE CE QU’ELLES PARAISSENT (en d’autres mots, on ne voit pas les choses telles qu’elles sont vraiment, on ne voit que leur APPARENCE). Comme disait Saint-Exupéry “L’essentiel est invisible pour les yeux…”: on croit protester contre la hausse des frais de scolarité, mais c’est une toute autre chose qui en sortira. Ce qui a officiellement commencé comme une simple crise étudiante a opéré un clivage dans la société québécoise: il y avait ceux qui étaient POUR les étudiants, et ceux qui étaient CONTRE.
L’expression “sortie de crise” demande toutefois à être précisée. Cette grève n’est pas quelque chose “à régler”, puis c’est fini: retour à la normale, et tout est “comme d’habitude”. Eh bien non: ce n’est pas comme ça (c.a.d. que C’EST MAL VU: on ne retourne jamais en arrière (sous peine de régresser). Cette crise est une occasion inespérée de faire un formidable progrès social (de même qu’on ne sort pas de la crise d’adolescence en redevenant un petit enfant, mais en devenant un adulte).
Remarquons le rôle des jeunes pour initier toutes sortes de mouvements. Dans L’Occident et la charia (3) j’écrivais:
Les jeunes représentent l’avenir, et sont une force montante. Dans les pays arabes ils n’ont souvent connu que le pouvoir en place. Le “printemps arabe” a montré que quand ils s’assemblent, c’est une force à laquelle RIEN ne résiste. Attention: les jeunes ont bien un rôle à jouer pour initier la chose, mais ils seront appuyés et suivis par une très forte majorité de gens de tous âges.
Depuis l’adoption de la loi 78 (“loi spéciale” devant censément forcer le retour en classe) les choses ont pris une toute autre tournure (insoupçonnée et plus globale). Cette loi a “exaspéré” une majorité de gens de tous âge (61% selon un sondage CROP/Radio-Canada) de sorte que tous les jours à 20:00 ils s’assemblent un peu partout, en groupes de toutes grandeurs et, sans dire un mot ou avec une humeur festive et ludique, tapent sur leur casserole pendant plusieurs heures; c’est ce qui a été appelé LE CONCERT DES CASSEROLES. Ce “concert des casseroles” n’a pas vraiment de but, autre que de dire “nous sommes là, nous existons”; si on observe toute cette foule cependant, on sent une sorte de ras-le-bol ou de désir (assez inconsistant) de quelque chose de nouveau et cela nous force à prendre conscience que ce qui compte vraiment, ce ne sont pas les “grands enjeux économiques”, c’est NOUS, le peuple.
On a dit que ce qui se passe au Québec présentement ressemble étrangement à ce qui se passait en France en mai 68. Or, si on examine de près les deux mouvements on ne peut pas considérer que mai 2012 soit un mai 68 revisité: s’il est indéniable qu’il y a de nombreuses similitudes, on trouve par ailleurs des différences notables (ce qui prouve qu’entre 1968 et 2012 il y a bien eu évolution, on ne se retrouve pas au même point).
Mis à part le “concert de casseroles” (qui rappelle “le grand tintamarre” des Acadiens, ou “la marche des casseroles” du Chili de Pinochet) (voir l’article du Devoir), on remarque que dans les deux cas le mouvement de contestation a commencé avec les étudiants, pour s’étendre à leurs profs, puis aux syndicats, et finalement à la population en général. Mais là s’arrête la comparaison. Les étudiants français de l’époque remettaient tout en cause: le système économique, les politiciens et toute forme d’autorité, le capitalisme, etc., tandis que l’étudiant québécois ne veut que pouvoir étudier à moindre coût pour avoir un diplôme, ce qui lui permettra de décrocher un emploi (autrement dit, il ne conteste pas le système, il veut en faire partie). Mais la grève étudiante a POLARISÉ (donc divisé) la population: on était POUR ou CONTRE les étudiants. C’est avec la loi 78 que ce qui n’était à l’origine qu’une grève des étudiants est devenu une crise sociale majeure.
L’importance est clairement mise sur les valeurs sociales par opposition à la société traditionnelle (symbolisée par le pouvoir en place): on a affaire à une revendication (assez imprécise) de “quelque chose” qu’on ne connaît pas mais qui serait radicalement nouveau (c.a.d. qu’on refuse le statu quo: ON VEUT DU CHANGEMENT). Et les Québécois (à cause de leur nature pacifique) expriment cela par un “concert de casseroles”. C’est à la fois très beau et touchant.
La police a toujours exercé un pouvoir de répression. Mais alors qu’en 1968 ça jouait de la matraque, la police québécoise, très patiente, s’est contentée d’arrestations (plus de 2000). Alors, non, il n’y aura pas de guerre civile au Québec (ce n’est pas notre façon de faire).
Bien sûr, la crise va s’apaiser, les étudiants finiront par retourner en classe: en APPARENCE tout sera revenu à la normale. Sauf que derrière les apparences…
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